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« Certaines n’avaient jamais vu la mer » de Julie Otsuka : Un chœur de femmes oubliées

24 Avr 2025 | Chroniques littéraires inspirées, Lectures & Cultures

Un chant de femmes invisibles, porté par le vent du passé…

Elles avancent en silence, à petits pas, sur le pont d’un bateau qui les emporte loin de leurs rizières, de leurs familles, de tout ce qu’elles ont connu. Elles n’ont pas encore vu la mer, mais déjà leur vie bascule. Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka est une polyphonie poignante, un roman choral qui donne voix à celles qu’on a longtemps ignorées : les « picture brides », ces jeunes Japonaises envoyées en Amérique pour y épouser des hommes inconnus, et qui y trouveront l’exil, la désillusion, le labeur, parfois l’amour… mais surtout l’effacement.

À travers un style minimaliste et répétitif, presque incantatoire, Julie Otsuka raconte une mémoire collective, une page d’histoire effacée que sa plume, ciselée comme une gravure sur pierre, rend enfin lisible. Son roman est une ode à la résilience des femmes, un hommage aux existences anonymes dont les voix, aujourd’hui encore, résonnent comme un souffle venu d’outre-mer.

«…à présent nous étions sur le bateau, le passé était derrière nous et il n’y avait pas de retour possible.»

Julie Otsuka – Certaines n’avaient jamais vu la mer

Informations essentielles

  • Titre original : The Buddha in the Attic
  • Autrice : Julie Otsuka
  • Traductrice : Carine Chichereau
  • Genre : Roman historique, récit choral, roman étranger
  • Publication en France : 2012
  • Distinction : Prix Femina étranger 2012
  • Adaptation : Adapté au théâtre par la compagnie du Chameau & la compagnie Simagine, mise en scène de Delphine Augereau

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Résumé du livre : Un récit choral au fil de l’exil

Elles étaient des dizaines, des centaines peut-être, à embarquer pour l’Amérique, la tête pleine de promesses murmurées à travers des lettres, des photographies et des rêves d’ailleurs. Originaires des campagnes ou des villes du Japon, elles n’avaient parfois jamais vu la mer. Mais toutes avaient accepté de devenir l’épouse d’un inconnu. On les appelait parfois picture brides (femmes envoyées à l’étranger pour épouser des hommes qu’elles n’avaient vus qu’en photo).

Arrivées à San Francisco au début du XXᵉ siècle, la désillusion est immédiate. Les maris n’étaient pas ceux des portraits. La vie en Amérique, loin d’être dorée, s’écrit dans la poussière des champs de fraises, dans l’ombre des cuisines des riches familles blanches, dans l’effacement de leur langue, de leur culture, de leur nom.

Julie Otsuka tisse un récit choral puissant, où les voix de ces femmes s’unissent pour raconter l’avant, l’après, le quotidien, l’amour, les humiliations et les silences. Un chant collectif, vibrant, qui traverse les générations jusqu’à l’invisible disparition de toute une communauté lors de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Japonais d’Amérique furent déportés dans des camps d’internement, comme si le pays tout entier avait décidé d’oublier leur existence.

Personnages marquants : Des vies entremêlées

Dans Certaines n’avaient jamais vu la mer, il n’y a pas de personnage principal au sens traditionnel du terme. Ce n’est pas l’histoire d’une femme, mais celle de centaines. Julie Otsuka choisit la voix du nous pour incarner ce chœur de Japonaises venues aux États-Unis au début du XXe siècle. Chacune est brièvement esquissée, parfois par une simple phrase, mais toutes ensemble forment une fresque poignante de destins entremêlés.

Le nous devient un personnage collectif : des adolescentes vendues comme épouses, des femmes usées par les champs, des mères séparées de leurs enfants, des immigrées silencieuses apprenant à se faire oublier. Leurs voix se fondent en un seul récit, sans noms, mais jamais sans visage.

Face à elles, deux figures s’esquissent en miroir. D’une part, les époux japonais, rencontrés pour la première fois sur le quai de San Francisco. Souvent bien différents des lettres et des photos envoyées, ils incarnent autant de désillusions que de compagnons de survie. Certains sont violents, d’autres aimants, mais tous portent le poids de leurs propres renoncements.

D’autre part, les hommes et les femmes américains, figures de domination ou d’humiliation, mais aussi parfois de bienveillance inattendue. Il y a ces patronnes exigeantes, ces voisins méfiants, ces dames blanches qui enseignent comment tenir une fourchette ou disent « après vous », tout en gardant leurs distances. Et dans leurs regards, les Japonaises se découvrent étrangères à tout, même à elles-mêmes.

En choisissant l’anonymat et le regard collectif, Otsuka sublime l’invisible. Elle fait de ces femmes des témoins, des survivantes, des voix qui murmurent à travers le temps.

Contexte historique et social : Rêve brisé, déracinement et effacement

Les « picture brides » : Un rêve d’Amérique emballé dans une enveloppe

Au début du XXe siècle, des milliers de Japonaises embarquent pour les États-Unis après avoir accepté d’épouser des hommes qu’elles n’ont vus qu’en photo. Ce phénomène, appelé picture bride (épouse par correspondance), promettait un avenir radieux dans un pays d’opportunités. Mais dès l’arrivée à San Francisco, le rêve se fendille : les maris sont souvent bien différents de leurs portraits, et la réalité du quotidien se résume à des travaux agricoles éreintants, des logements précaires et un isolement culturel profond.

Entre deux mondes : L’identité et l’appartenance en question

Ces femmes vivent dans un entre-deux permanent : ni totalement américaines, ni pleinement japonaises. Elles apprennent à se faire petites, à s’adapter, à taire leur accent, tout en tentant de transmettre leur langue et leurs coutumes à leurs enfants. Mais ces derniers, eux, se détachent peu à peu de leurs racines. L’intégration passe souvent par l’effacement : un nom américanisé, une langue oubliée, une honte intériorisée. Qui sont-ils devenus dans ce pays où leurs mères ne sont regardées que de travers ?

La fracture de Pearl Harbor : Soupçons, déportations et camps

Le basculement historique survient avec l’attaque de Pearl Harbor, en décembre 1941. En quelques semaines, la population japonaise devient suspecte. Des familles entières sont arrachées à leur quotidien et internées dans des camps dispersés à travers l’ouest américain (Manzanar, Tule Lake, Poston…). Il ne s’agit pas d’exil volontaire, mais d’un déracinement imposé par la peur. Certaines n’avaient jamais vu la mer rend cette montée de la suspicion terriblement palpable : les regards changent, les lettres anonymes se multiplient, les magasins ferment leurs portes… jusqu’au moment où plus personne ne sait où sont passés les Japonais.

L’oubli organisé : Disparition d’une mémoire collective

Le roman s’achève sur un silence glaçant. Les Japonais sont partis. Leurs maisons sont vides. Leurs noms s’effacent des boîtes aux lettres, des souvenirs. Personne ne sait exactement quand ils sont partis ni où ils sont. Le quartier japonais se vide comme si ses habitants n’avaient jamais existé. Et le lecteur, pris dans cette amnésie collective, se demande : que reste-t-il des voix qu’on n’a pas écoutées ? Certaines n’avaient jamais vu la mer est un acte littéraire de résistance face à l’oubli, un mémorial choral pour celles que l’histoire a rayées.

Vue d'ensemble du camp d'internement de Manzanar en Californie, où des milliers de Japonais-Américains ont été détenus durant la Seconde Guerre mondiale. Un paysage aride et montagneux entoure les baraquements, témoins silencieux d'un chapitre sombre de l'histoire américaine.
Camp d’internement de Manzanar en Californie – Etats Unis

Lieux : Une géographie du déracinement

Des montagnes embrumées de Yamanashi aux vergers poussiéreux de Californie, Certaines n’avaient jamais vu la mer dessine une cartographie du déracinement. Le voyage commence au Japon, dans des villes et villages éparpillés – Kyoto, Tokyo, Hiroshima, Nagoya ou encore les campagnes de Kumamoto, Fukushima et Niigata – d’où partent ces jeunes femmes en quête d’un avenir qu’on leur a promis radieux.

Puis vient San Francisco, seuil du rêve américain, mais aussi première désillusion. Sur le quai, les maris tant espérés n’ont plus rien des portraits enjolivés envoyés depuis l’Amérique. Et la terre promise se révèle être une succession de labeurs et d’errances.

Elles parcourent alors l’Ouest américain, ballotées de ville en ville, d’un champ à un autre : Sacramento, Fresno, Watsonville, Stockton, Lompoc, Yolo, Kettleman, San Joaquin, Los Osos… Autant de lieux de récolte où elles cueillent des fraises, des haricots, des raisins ou des pommes de terre. Autant de territoires où leur seule maison est une tente, une étable, un dortoir de fortune ou une couchette dans un wagon rouillé.

Et puis l’exil prend une autre forme, plus brutale encore : celle de l’internement. Après l’attaque de Pearl Harbor, la carte se resserre autour de camps situés au Nevada, en Utah, en Idaho ou au Wyoming. Des lieux d’effacement, souvent laissés hors champ, mais dont l’ombre plane sur la dernière partie du roman, jusqu’à faire disparaître les Japonais de la carte, de la ville, de la mémoire collective.

Chez Julie Otsuka, les lieux sont les témoins muets d’un arrachement, d’une vie de labeur, d’un glissement lent vers l’invisibilité.

Envie de suivre les traces du roman ?
🔗 Guide du Routard Californie – Pour parcourir San Francisco et les terres agricoles de la Central Valley, où les femmes japonaises ont tenté de bâtir une vie.
🔗 Guide du Routard États-Unis – Parcs de l’Ouest – Pour ressentir l’isolement des grands espaces où furent construits les camps d’internement.
🔗 Guide du Routard Japon Pour découvrir Kyoto, Hokkaido ou encore Kumamoto, ces régions d’origine que les jeunes épouses ont quittées avec un rêve cousu dans leurs valises.

Thèmes et messages du livre : Ce qu’il nous raconte vraiment

L’illusion et la réalité : Entre rêve américain et désenchantement

Certaines n’avaient jamais vu la mer commence dans un frisson d’espoir : celui d’un ailleurs idéalisé, entre kimono immaculé pour la nuit de noces et promesses d’amour glissées dans des lettres mensongères. Mais dès les premières pages, Julie Otsuka brise l’enchantement. L’Amérique n’est pas un conte de fées, et les fiancés photographiés en costume trois pièces ne sont que des ombres de la réalité. Le roman explore ainsi la fracture entre l’image qu’on se fait d’un avenir meilleur et la brutalité du réel. Une tension qui irrigue tout le récit.

Résilience et adaptation : Survivre sans faire de bruit

L’une des forces du roman réside dans la manière dont il montre la capacité d’adaptation de ces femmes. Chaque ligne est traversée par une forme de résistance silencieuse, un instinct de survie discret mais inaltérable. Travailler la terre, enfanter dans des dortoirs insalubres, être repoussées dans les bus ou ignorées dans les salons américains : tout cela forge un quotidien dur, mais jamais totalement désespéré. C’est dans la répétition, la ténacité et les gestes du quotidien que ces femmes deviennent héroïnes malgré elles.

L’injustice systémique : Le poids d’une altérité soupçonnée

Sans jamais hausser le ton, Julie Otsuka dépeint l’injustice avec une précision implacable. L’hostilité des voisins, les humiliations ordinaires, les soupçons devenus lois après Pearl Harbor, et la disparition orchestrée des familles japonaises révèlent l’ampleur du rejet subi. Ce n’est pas une injustice ponctuelle, mais un système entier qui les a maintenues à la marge, puis effacées. Le roman devient alors un miroir tendu à nos sociétés : qui décide de la mémoire ? Qui a droit au récit ?

Citations marquantes : Quand les mots frappent au cœur

📖 « Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n’étions pas très grandes. […] Certaines descendaient des montagnes et n’avaient jamais vu la mer, sauf en image. »

C’est l’incipit du roman, et il pose d’emblée le ton : choral, pudique, profondément humain. Ce passage condense en quelques lignes l’innocence, l’universalité des origines, et le basculement vers l’inconnu. Il ancre le lecteur dans cette traversée non seulement géographique mais existentielle, et donne son titre au livre.

📖 « Nous voilà en Amérique, nous dirions-nous, il n’y a pas à s’inquiéter. Et nous aurions tort. »

Simple, glaçante, cette phrase révèle toute la tragédie à venir. Elle cristallise l’illusion du rêve américain et la chute brutale dans une réalité empreinte de rejet et de désillusion. En une ligne, elle devient un écho intemporel aux promesses non tenues faites à tant d’exilés.

📖 « Chaque jour qui passe fait pâlir les affiches sur les poteaux téléphoniques. Et puis, un matin, il n’en reste plus une seule, et pendant un moment la ville se sent étrangement nue, et c’est comme si les Japonais n’avaient jamais existé. »

Elle illustre à la perfection le thème de l’effacement et de l’oubli. C’est la mémoire collective qui se délite, la disparition d’un peuple rendue invisible aux yeux de tous. Une image forte, silencieuse, mais profondément bouleversante.

Mon avis : Un chant de femmes invisibles, porté par le vent du passé

Ce roman m’a saisie dès les premières lignes. Le style de Julie Otsuka, à la fois épuré et vibrant, surprend par sa musicalité presque hypnotique. On ne suit pas un personnage, mais une multitude de voix féminines qui se fondent en un chœur puissant. Cette polyphonie donne au texte une intensité rare : chaque phrase semble porter le poids d’une vie entière.

J’ai été frappée par la densité de l’écriture. Malgré le faible nombre de pages, le livre déborde d’images, de sensations, de détails qui forcent parfois à s’arrêter, à reprendre son souffle. C’est un texte qui exige une lecture lente, presque méditative. J’ai ressenti un profond respect pour ces femmes : leur silence, leur résilience, leur dignité face à l’humiliation et à l’injustice.

L’absence de fioritures rend la lecture encore plus poignante. Rien n’est surjoué, rien n’est inutile. Et pourtant, tout fait écho. Ce roman m’a remuée. Il m’a rappelé que les plus grandes tragédies ne sont pas toujours celles qui crient le plus fort.

Un livre à la fois discret et bouleversant, qui marque le cœur et la conscience.

Pour qui ce livre est-il fait ?

Pour les amateurs de récits collectifs et de voix plurielles
Ce roman s’adresse à celles et ceux qui aiment écouter les échos d’une mémoire oubliée. Ici, pas de personnage central ni de grande intrigue : juste un murmure continu, porté par des dizaines de voix féminines qui se superposent, se répondent, se soutiennent. Si vous aimez les livres qui captent l’indicible et rendent visibles les vies invisibles, ce chant choral vous touchera profondément.

Pour les lecteurs sensibles à l’histoire et aux luttes de l’exil
Certaines n’avaient jamais vu la mer est une lecture précieuse pour quiconque s’interroge sur les identités construites en terres étrangères, sur la manière dont l’Histoire balaie parfois des existences entières sans un mot. Si les thèmes de l’injustice, de l’oubli, du déracinement vous émeuvent, ce livre vous marquera.

Pour les amoureux de la littérature japonaise ou minimaliste
Le style de Julie Otsuka évoque les grandes voix de la littérature japonaise : économie de mots, poésie du quotidien, puissance du non-dit. Les lecteurs sensibles aux récits épurés, contemplatifs, mais d’une charge émotionnelle intense, y trouveront une beauté discrète mais saisissante.

Et pour qui ce livre pourrait moins convenir ?
Les lecteurs en quête d’un roman à l’intrigue soutenue ou à la structure classique pourraient être déroutés. Le rythme répétitif, le style fragmentaire, et l’absence de personnages individualisés exigent une certaine disponibilité, voire une forme de lâcher-prise.

Julie Otsuka : Une plume ciselée pour conter les destins invisibles

Julie Otsuka écrit comme on cisèle la mémoire collective : avec rigueur, finesse et une forme de pudeur élégante. Née en Californie dans une famille japonaise-américaine, elle puise dans son histoire familiale les récits oubliés de l’Histoire américaine. Son œuvre, bien que discrète en nombre de publications, est d’une densité rare.

Après Quand l’empereur était un dieu (2004), qui évoquait déjà les camps d’internement de Nippo-Américains pendant la Seconde Guerre mondiale, elle poursuit avec Certaines n’avaient jamais vu la mer (2011), un roman choral qui s’impose par son originalité formelle et sa puissance évocatrice. En 2022, elle revient avec La ligne de nage, un roman plus introspectif sur l’effritement de la mémoire.

Le style d’Otsuka est reconnaissable entre mille : phrases courtes, structure répétitive presque hypnotique, et une voix narrative qui épouse le collectif plus que l’individu. Elle s’inscrit dans la lignée d’écrivaines comme Yoko Ogawa ou Kazuo Ishiguro (dans ses œuvres les plus intimistes), tout en développant une signature profondément américaine dans son traitement des non-dits de l’Histoire.

Chaque livre de Julie Otsuka est un fragment de silence brisé, une tentative poétique et lucide de rendre justice à ceux qu’on a effacés.

Article de blog Poropango : « Certaines n’avaient jamais vu la mer » de Julie Otsuka : Un chœur de femmes oubliées

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